Les métiers d’antan au Luxembourg Entre artisanat, mémoire et patrimoine
Comme le Luxembourg est associé notamment avec la place financière et son riche passé sidérurgique, il y a tendance à oublier les nombreuses autres activités économiques qui, jadis, faisaient partie de notre vie quotidienne.
Une sélection de documents issus du Fonds luxembourgeois, du Fonds des affiches et des cartes postales illustrées et du Fonds des documents éphémères, met en évidence quelques métiers d’antan qui ont soit disparu, soit sont exercés différemment de nos jours. Ces gagne-pains et professions de milieux économiques différents font partie de l’héritage culturel et économique de notre société d’aujourd’hui.
La lessiveuse – D’Wäschfra
Vers 1900, la lessive fut souvent faite à l’extérieur, aux bords des rivières ou dans les lavoirs des villages et quartiers. Surtout en hiver, lorsqu’il fallait manipuler l’eau glaciale et travailler dans le froid, laver le linge fut une activité pénible, de sorte que les familles aisées pouvaient faire appel à des lessiveuses professionnelles pour l’accomplissement de ce travail physique. Pour ces dernières, souvent des femmes issues de milieux modestes ou des veuves s’occupant seules de leurs enfants, ce gagne-pain permettait d’augmenter les revenus de leurs familles.
Une carte postale envoyée à l’adresse « Madame Benoît, lessiveuse à Sept Fontaines, près Luxembourg » le vendredi soir, 25 mai 1900, avec la note « Madame Benoît, veuillez être assez bonne et faire prendre mon linge lundi, s’il vous plaît. Je vous salue, M. Priscal. Luxembourg, le 25 Mai 1900 », témoigne de la relation que pouvaient entretenir ces lessiveuses avec leurs clients au début du 20e siècle et illustre l’utilisation des cartes postales comme moyen de communication quotidien.
La repasseuse – D’Streckesch
Chemises et manchettes, nappes et linge de lit : les repasseuses s’occupaient de toutes sortes de linge d’une certaine importance ou taille. Le repassage était, à l’échelle privée, souvent effectué à l’aide d’un fer à repasser chauffé aux charbons et faisait d’habitude suite à une longue journée de lessive incluant une grande quantité de linge. Comme pour la lessive, les familles bien situées faisaient appel à une repasseuse professionnelle pour lui confier cette tâche laborieuse et coûteuse en temps.
Outre ces repasseuses professionnelles, des Plättanstalten, des entreprises de repassage à grande échelle, pouvaient s’occuper d’importantes quantités de linge. Une carte postale non datée et éditée par la Photographische Kunstanstalt Franz Tapprich à Grevenmacher, illustre la Plättanstalt Jos. Lauterborn-Schmitz appartenant à Joseph et Marie Lauterborn-Schmitz. Déjà avant son mariage avec Joseph, Marie-Lauterborn Schmitz, exerçait le métier de repasseuse et publiait régulièrement des annonces dans l’Obermosel-Zeitung afin de fidéliser son ancienne clientèle et vanter ses mérites.
Fondée en 1891 par Marie-Anne Neumann et située, au début, dans sa maison familiale, l’école ménagère placée Rue du Nord à Luxembourg-Ville formait les jeunes femmes dans toutes les disciplines faisant partie de l’économie domestique.
L’école, qui comptait une bonne dizaine d’élèves lors de sa première année d’existence, connaissait un tel succès, qu’elle fût agrandie en 1906. Aux cours de repassage, cuisine, couture et autres tâches ménagères s’ajoutaient alors des cours de langue, de sciences et de religion de sorte que les élèves aient une éducation à la fois professionnelle mais aussi générale.
Les écoles ménagères jouaient un rôle important dans l’éducation des jeunes femmes au Luxembourg jusque dans les années 1960.
Le boucher – De Metzler
Comme le laitier ou le boulanger, le boucher faisait partie des acteurs essentiels à l’approvisionnement alimentaire de la population – surtout urbaine. Néanmoins, tandis que les habitants fortunés des villes pouvaient acheter ou faire acheter leur viande chez le boucher, les populations rurales abattaient leur bétail eux-mêmes, parfois en coopération avec un abatteur, à qui on pouvait faire appel en cas de besoin. Bouchers amateurs, ces familles transformaient eux-mêmes la viande, sans pourtant en gaspiller le moindre morceau utile.
Pendant une partie de la période d’occupation allemande du Grand-Duché de Luxembourg, tout abattage, même celui exercé à l’échelle privée, devait être précédé par une demande de permission d’abattage et le paiement d’une taxe d’abattage à l’Administration communale. Malgré cette taxe, en vigueur jusqu’au 1er mai 1942, et les risques de punition encourus en cas de non-paiement, certains luxembourgeois osaient abattre leur bétail clandestinement.
Ce document contient des informations sur l’abattage d’un cochon par Franz Hoffmann de Dellen le 7 janvier 1942. Le montant de deux Reichsmark d’impôts et de cinquante Reichspfennige de contributions a été payé à la Schlachtsteuerhilfstelle à Grosbous le même jour.
Le berger – De Schéifer
Vers 1900, le Grand-Duché comptait plus ou moins 20.000 moutons dont pouvaient s’occuper les bergers. Souvent, ceux-ci étaient payés proportionnellement à la taille de leurs troupeaux. Le berger veillait non seulement au ravitaillement de ses animaux, qu’il menait au pâturage, mais se chargeait aussi de la tonte de leur laine (souvent aux alentours de la Pentecôte, quand les températures extérieures augmentaient).
Le potier – Den Aulebäcker
Les potiers fabriquaient des pots de fleurs, des briques, des gamelles et les fameux Péckvillercher en terre cuite. Le commerce de ces produits florissait jusqu’à la fin du 19e siècle et les artisans de Nospelt, en activité depuis le Moyen Âge, étaient particulièrement connus au Luxembourg. Malheureusement, Nicolas Schneider, le dernier Aulebäcker de Nospelt, a dû mettre fin à ses activités en 1914. Néanmoins, leur patrimoine continue à vivre jusqu’à ce jour sous la forme du marché folklorique « Eemaischen » à Nospelt et Luxembourg, qui remonte à la fête corporative des potiers dans l’église St. Michel au Marché-aux-Poissons et qui a lieu les Lundis de Pâques. C’est ainsi que les oiseaux à sifflet font encore aujourd’hui le bonheur des collectionneurs.
Le laitier – De Mëllechmann
Avant l’apparition des magasins de libre-service, le laitier vendait ses produits dans la rue. Il avait une tournée fixe, et après avoir chargé sa charrette dans la laiterie, il allait de porte à porte avec des bidons à lait, mais également du beurre, du fromage cuit ou blanc, de la crème ou du yaourt.
Une carte postale, éditée en 1911 par N. Schumacher, montre une telle scène quotidienne à Differdange. Le laitier faisait sa tournée avec des bidons à lait dans la rue du Marché à Differdange. À noter l’utilisation d’un chien comme animal de trait pour son attelage.
Dans l’article Mam Möllechmann um Tour, paru dans la Revue le 22 mai 1954, le journaliste et photographe Paul Aschman accompagnait le laitier Albert, avec son cheval Max, lors d’une tournée dans le quartier de la gare à Luxembourg. Par cet article de 4 pages, l’auteur a conservé un témoignage précieux de ce métier disparu de nos rues.
Le chiffonnier – De Lompekréimer
Au début du 20e siècle, les chiffonniers faisaient partie du paysage des centres urbains. Les Lompekréimer échangeaient des produits de deuxième choix, comme de la porcelaine de Villeroy & Boch avec des défauts de fabrication contre des chiffons, afin de les revendre à des fabriques de papier. À part les chiffons, d’autres matières comme des restes de cuir, de vieilles chaussures, des os et différents métaux étaient collectés pour la revente. Certains chiffonniers parlaient leur propre langue de Jéinesch et constituaient un cercle fermé qui avait souvent mauvaise réputation. Les quartiers qui accueillaient ces familles à Luxembourg-Ville étaient notamment Pfaffenthal et Weimerskirch.
Une carte postale, avec un envoi daté du 13 avril 1910 et éditée par Kremer-Müller à Esch-sur-Alzette, montre le chiffonnier Jean Breckler entouré par une foule de femmes et d’enfants lors de sa tournée dans la rue du Brill à Esch-sur-Alzette.
Une annonce, parue le 28 octobre 1919 dans le Luxemburger Wort, présentait une foule d’articles offerts à la vente et allant au-delà du troc de chiffons. Dans celle-ci, le chiffonnier (et cafetier) Jean Breckler proposait des matières premières comme du cuivre, mais également des ustensiles comme des fours, des bascules, des pissoirs, des tendeuses ou même des chiens :
Achtung! Zu verkaufen:
Einige 100 kg Kupfer, Messing, Bronze und Blei; 50 Stück tôle Backöfen für kleineren Haushalt, zum Backen von 2 großen oder 4 kl. Broten ; 30 Stück gute Heizöfen ; 10 Stück Kochherde ; 6 Pissoirs aus Guß ; 1 Handkarren; 1 leichter Federwagen; 1 Mähmaschine 2 spännig; 15 Zentner gutes Schmiedeeisen für Schmiedemeister; 1 Bascüle mit Gewichten; 1 schöner, großer Ziehhund; 1 schöner Wolfshund bei Jean BRECKLER, Wirt in Esch a.A., Neudorf 53.
Les périodiques quotidiens de l’époque ne constituent pas uniquement une source précieuse pour retracer l’activité commerciale de ces Lompekréimer, mais dénoncent également quelques actions malhonnêtes de certains d’entre eux. Un tel exemple est la mention d’un vol de fer blanc par deux chiffonniers (Luxemburger Bürger-Zeitung, 29 novembre 1913) :
Diebstahl. Der Arzt Hr. Dr. Norbert Pauly ertappte dieser Tage zwei bekannte Lumpenkrämer, welche sich in seinem Haushof zu schaffen gemacht hatten. Glaubend, es handle sich um einen Kaninchen- oder sonstweiteren Diebstahl, wurde die Verfolgung der Täter aufgenommen. Einer derselben wurde eingeholt, welcher eine Partie gestohlenes Zinnblech bei sich führte. Die Gendarmerie besorgte den Rest.
Le glacier – De Glacëverkeefer
Le glacier vendait dans les rues des grandes localités, ainsi que sur les kermesses et la Schueberfouer. Certains glaciers utilisaient un chien, d’autres un âne ou un cheval comme animal de trait pour se déplacer avec leur stand. À une époque où personne ne possédait un congélateur, le stand du glacier connaît un fort succès lorsqu’il faisait chaud. Un de ces glaciers était Georges Antony avec son stand de Crèmerie Luxembourgeoise à Luxembourg-Ville.
Une carte postale, éditée par Wolff’s Kunstanstalt (Berlin), met en scène le glacier Georg[es] Antony avec son stand de crèmerie. [s.d.]. Le glacier, aimé par les enfants et connu sous le surnom de « Hercules », est décédé en 1931 à l’âge de 69 ans. Il était également un ancien maître d’escrime. Le 12 août 1913, la Luxemburger Bürger-Zeitung lui rendait hommage : « Gestern feierte der weit und breit bekannte Herkules und Fechtmeister Herr Georg Antony von Luxemburg-Bahnhof sein 25jähriges Berufsjubiläum. »
Mercier et la culture d’osier à Kopstal
La société Mercier, fabricant de champagne, a été fondée à Épernay en 1858. Afin de se procurer du matériel de vannerie pour la fabrication des paniers à bouteilles de champagne, Mercier créait une succursale à Luxembourg à la fin du 19e siècle et exploitait la culture de l’osier dans la vallée de Kopstal.
Une carte postale, légendée « Champagne E. Mercie & Cie. : Culture des oseraies. Séchage », a été envoyée le 21 septembre 1906. La carte, éditée par Charles Bernhoeft et portant au verso l’intitulé « Champagne Mercier : Succursale de Luxembourg », montre des vannières dressant l’osier pour le séchage, avant son utilisation pour le tressage de paniers. Le bâtiment dans l’arrière-plan identifie l’exploitation de la succursale de Luxembourg à Kopstal par l’inscription « Champagne E. Mercier & Cie Luxembourg ».
L’activité de la succursale de Mercier ne se limitait pas à la culture de l’osier. Le champagne, qui arrivait en fûts depuis la maison mère à Epernay, était mis en bouteille à Luxembourg et emballé dans les paniers d’osier.
Une facture de la succursale de Mercier Luxembourg, datant du 25 janvier 1904 et faisant partie du Fonds des documents éphémères de la BnL, concerne une commande de bouteilles de champagne par Victor Beffort. La facture, qui est décorée d’un en-tête illustrant la maison principale à Epernay, ainsi que sa succursale dans le quartier de la gare, mentionne un effet secondaire lucratif de l’établissement à Luxembourg. Par l’embouteillage du champagne dans le pays, les clients profitaient « [d’] une économie de Douane d’environ 1 franc 50 cent. par Bouteille ». Étant donné que le Luxembourg était membre du Zollverein, la décision de s’établir au Grand-Duché constituait un choix stratégique permettant à Mercier d’accéder au marché de l’union économique allemande. Avec une production de 600.000 bouteilles de champagne en 1895, l’importance du site luxembourgeois semble évidente.
L’ardoisier – De Leekëppert
La première exploitation de l’ardoise à Martelange remonte à la fin du 18e siècle. L’activité était longtemps pratiquée par plusieurs sociétés familiales. Vers la fin du 19e siècle, 6 millions de tuiles en ardoise étaient produites chaque année. Autour de 1900, environ 600 ouvriers travaillaient dans l’exploitation des mines de Martelange. La famille Rother, originaire de Francfort, achetait l’ensemble des mines de Martelange au tournant du 20e siècle.
Une carte postale des « Ardoisières de et à Haut-Martelange S.A. », légendée « Chambre souterraine. Abbaukammer.», visualise l’extraction de la matière dans une chambre souterraine de la mine. Les grands blocs découpés avaient une taille de 4 à 6 mètres et une épaisseur d’environ 50 centimètres. [s.d.]. Dans l’atelier des fendeurs, la pierre brute était transformée en plaques, puis taillée en tuiles d’ardoise par les Leekëpperten (ardoisiers).
En raison d’une concurrence étrangère de plus en plus pressante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par absence de modernisations de l’Ardoisière de Martelange, la compétitivité du site était en danger. Finalement, la société se voyait contrainte de cesser l’exploitation en 1986.
▪ Une sélection de documents à ce sujet est exposée dans les vitrines devant la salle de consultation spécialisée au premier étage jusqu’au 4 janvier 2025.
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