Les trésors littéraires de Tahar Ben Jelloun Voyage dans le monde de l’écrivain franco-marocain
Tahar Ben Jelloun est un écrivain franco-marocain qui explore les thèmes de l'identité, de la politique, de la religion et de la sexualité dans le contexte de la société marocaine et du monde arabe. Son style d’écriture est souvent caractérisé par son lyrisme et sa sensibilité, et il est connu pour sa capacité à aborder des sujets délicats avec finesse et subtilité. Ben Jelloun a remporté de nombreux prix littéraires, notamment le Prix Goncourt en 1987 pour son œuvre « La nuit sacrée ».
Le 20 mars 2023, la Bibliothèque nationale accueille Ben Jelloun pour un dialogue avec l'écrivain luxembourgeois Jean Portante. En préparation de cet entretien, nous vous invitons à découvrir Ben Jelloun et son Maroc à travers ses publications sélectionnées par Portante.
Au plus beau pays du monde (Tahar Ben Jelloun)
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Le pays le plus beau en question est, vous l’aurez deviné, la terre natale de Tahar Ben Jelloun, le Maroc donc. Il suffit cependant de lire les premières pages pour se rendre compte de toute la charge ironique du titre, parce que, entraînés dans les villes phares du Maroc que sont Tanger, Casablanca, Marrakech ou Fès, la ville natale de l’écrivain, ce à quoi nous assistons au fil des pages, c’est au démontage des rouages de la société marocaine vivant dans un pays étouffé par les tabous, surtout liés à la sexualité, menacé par l’islamisme intolérant et gangrené par la corruption. Mais tout ça est décrit avec amour et tendresse, avec humour parfois, et met en scène des personnages touchants aux prises avec un quotidien qui souvent les dépasse. Bref, écrit Tahar Ben Jelloun, c’est une sorte de Mille et une nuits revues et corrigées par les temps modernes…
Au pays (Tahar Ben Jelloun)
Treize ans avant Au plus beau pays du monde, en 2009 donc, Tahar Ben Jelloun a publié un roman dont le titre est Au pays. Les deux romans ont deux mots en commun : Au et pays. Sauf que pour le livre de 2009, le titre est assez neutre. Il n’y a pas d’adjectif pour l’enjoliver. Ni de superlatif. C’est qu’au centre du livre il y a Mohamed qui, après avoir émigré en France et y avoir travaillé toute sa vie, arrive à l’âge de la retraite, et décide de rentrer au Maroc. Nous sommes dans un autre registre que dans Au plus beau du monde. Nous ne sommes plus dans l’incantation. Cela dit, le thème du retour au pays, son pays, est récurrent chez Tahar Ben Jelloun.
Ici, dans les trois livres suivants, Tahar Ben Jelloun, en écrivain conscient de la confusion qui peut régner dans les cerveaux des enfants et des jeunes, et pas seulement d’eux, s’adresse, en écrivain engagé contre les fléaux qui gangrènent nos sociétés, directement aux plus petits.
Le terrorisme expliqué à nos enfants (Tahar Ben Jelloun)
En thématisant le terrorisme, juste après les attentats de novembre 2015 à Paris, il veut chasser la peur qui traumatise les enfants, s’adressant surtout aux petits français, mettant des mots sur la chose, mais traçant également le contexte historique de la terreur qui va de la Révolution française au fondamentalisme islamique.
L'islam expliqué aux enfants (et à leurs parents) (Tahar Ben Jelloun)
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Tahar Ben Jelloun est également bien placé pour savoir tous les amalgames qui frappent l’islam, d’où la nécessité de mettre, là aussi, les choses au point, et de raconter à ses propres enfants nés musulmans, et à tous les autres enfants de France et d’ailleurs, l’histoire d’une religion et d’une civilisation qui a apporté bien des trésors à l’humanité. Mais il explique aussi comment les valeurs de l’islam ont été détournées à des fins politiques.
Le racisme expliqué à ma fille (Tahar Ben Jelloun)
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Pour parler du racisme, Tahar Ben Jelloun a choisi l’essai sous forme de dialogue avec sa fille Mérième qui voulait comprendre le sens du mot. Il lui dit entre autres qu’un enfant ne naît pas raciste, mais que c’est son entourage social qui le lui enseigne. De ce fait, au-delà des enfants, le livre s’adresse également aux parents et aux enseignants. Ces trois essais ont été des bestsellers absolus et se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires chacun.
L’enfant de sable (Tahar Ben Jelloun)
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Tahar Ben Jelloun renoue, dans ce livre, avec la tradition des conteurs qui parcourent les marchés pour raconter leurs histoires. Ici c’est celle d’Ahmed, une fillette marocaine que son père, pour ne pas avoir à souffrir du déshonneur de ne pas avoir eu de fils, fait passer pour un mâle. Ahmed, née Zahra, est la huitième fille de Hadj Ahmed. Malgré la souffrance, elle jouera jusqu’au bout le jeu imposé par son père, et va jusqu’à demander une fille en mariage. Nous sommes à mi-chemin entre le conte et la réalité. Le lien se fait surtout dans la plume d’Ahmed/Zohra qui, de nuit, se confie à son journal intime. Extrait bouleversant : « 15 avril : Être femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s'accommode. Être un homme est une illusion et une violence que tout justifie et privilégie. Être tout simplement est un défi. Je suis las et lasse. S'il n'y avait ce corps à raccommoder, cette étoffe usée à rapiécer, cette voix déjà grave et enrouée, cette poitrine éteinte et ce regard blessé, s'il n'y avait ces âmes bornées, ce livre sacré, cette parole dite dans la grotte et cette araignée qui fait barrage et protège, s'il n'y avait l’asthme qui fatigue le cœur et ce kif qui m'éloigne de cette pièce, s'il n'y avait cette tristesse profonde qui me poursuit ... J'ouvrirais ces fenêtres et escaladerais les murailles les plus hautes pour atteindre les cimes de la solitude, ma seule demeure, mon refuge, mon miroir et le chemin de mes songes. »
La nuit sacrée (Tahar Ben Jelloun)
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Ce roman qui a définitivement valu la célébrité à Tahar Ben Jelloun, est le pendant, la suite ou, plutôt, le complément de L’enfant de sable. Nous retrouvons Ahmed qui se fait conteuse d’elle-même. Après avoir enterré son père, elle quitte sa famille et reprend son identité féminine. La voilà sur les routes du Maroc, y fait de bonnes et, surtout, de mauvaises rencontres. Elle sera violée, tuera son oncle, ira en prison, s’entraînera à être aveugle en se bandant les yeux, subira les sévices cruels de ses sœurs qui lui en veulent d’avoir été, en tant que garçon, l’enfant préférée de leur père. Nous sommes sans cesse entre récit onirique, conte, allégorie et réalité souvent barbare. Mais nous sommes aussi dans le regard sévère de Tahar Ben Jelloun qui met le doigt dans les plaies d’un Maroc misogyne, dominé par le règne absolu du mâle. Je ne résiste pas à citer un extrait où Ahmed se sent enfin femme : « Je touchai mes seins. Ils émergeaient lentement. J'ouvris mon chemisier pour les offrir au vent du matin, un petit vent bénéfique qui les caressait. J'avais la chair de poule et les pointes durcissaient. Le vent traversait mon corps de haut en bas. Mon chemisier gonflait, je lâchai mes cheveux. Ils n'étaient pas très longs mais le vent leur faisait du bien. Je marchai pieds nus, orteils en éventail sans savoir où j'allais. Une envie folle m'envahit : j'ai retiré mon saroual puis ma culotte pour faire plaisir au vent, pour me faire plaisir et sentir la main légère et froide de cette brise matinale passer sur mon ventre et réveiller mes sens. »
Poésie complète : 1966-1995 (Tahar Ben Jelloun)
Chaque fois quand avec Tahar Ben Jelloun je parle de littérature, il me rappelle qu’il se veut surtout poète. Voilà une facette moins connue de son œuvre. C’est en effet par la poésie qu’a commencé son écriture. Il n’y a qu’à regarder sa bibliographie. Quand il arrive en France en 1971, il a un recueil de poèmes dans sa poche, Hommes sous linceul de silence, écrit, alors qu’il se trouvait, après une manifestation à Rabat, interné dans un camp disciplinaire de l’Armée (Cet internement est raconté dans le roman La punition (2018). D’autres recueils ont suivi, Cicatrices du soleil, Les amandiers sont morts de leurs blessures, À l’insu du souvenir, etc. Ce sont, de l’aveu-même de Tahar ben Jelloun des poèmes « dictés par la colère, par le besoin de réagir contre le mensonge et la trahison ». Il a surtout, en citant aimé Césaire, le désir de « m’installer au cœur du vivant de moi-même au monde ». Touchant et très juste ce qu’il dit de la poésie : « À la poésie, il nous faut toujours revenir pour faire cesser le bruit que font l’illusion et le désespoir, pour être dans l’essentiel sans tapage, pour rester voisin de l’enfance en ce qu’elle peut avoir de troublant, de vrai et de juste, pour parler avec la mère, même si la mienne ne sait ni lire ni écrire, être avec elle, l’écouter et écrire. »
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