La chute de Luxembourg (1795)
La prise de la ville de Luxembourg en juin 1795, n’a pas suscitée tant d’affliction que la chute de Constantinople en mai 1453. Alors que le professeur Andronic Kallistos (*1400–†1486) emploie dans sa Monodie sur la prise de Constantinople (titre traduit) des mots désespérés (« Ô reine des villes, comment as-tu accepté de courber la nuque sous le joug de l’esclavage ? »), le magistrat et la commune de Luxembourg se sont empressés de faire preuve de pragmatisme dans leur lettre au commissaire Merlin de Thionville (*1762–†1833) : « Toujours fidèles, toujours dévoués aux maîtres qu’ils ont eus jusqu’à ce jour, ils le seront de même à la République française sous la domination de laquelle ils viennent de passer. »
« Et le combat cessa faute de combattants [rassasiés]. »
La capitulation de Luxembourg, le 7 juin 1795, est le résultat d’un siège de plus de sept mois par les troupes révolutionnaires françaises. Comme le souligne l’historien François Lascombes (*1921–†1991), la défaite des troupes autrichiennes dans la forteresse s’explique avant tout par le manque de vivres et l’absence de renforts, plutôt que par l’insuffisance d’armes (dont on dénombrait encore 819 pièces d’artillerie et 16.244 fusils au moment de leur remise aux Français). Cette capitulation, survenue 111 ans après celle d’Ernest Alexandre Dominique d’Arenberg (*1643–†1686), marque la fin du duché de Luxembourg, dont la majeure partie formera le département des Forêts à partir du 1er octobre 1795.
Un document primordial sur ce tournant de l’histoire luxembourgeoise est le placard intitulé ARTICLES DE LA CAPITULATION proposée par le Maréchal de Bender, Gouverneur de Luxembourg, […] et imprimé après le 5 juin 1795. En septembre 2024, la Bibliothèque nationale du Luxembourg a pu acquérir un exemplaire de ces conditions de capitulation (cote : 53783 / A.L. 1-5 ; dimensions 64 x 47 cm). L’état fort net dans lequel il se présente actuellement a pu être rétabli par les mains talentueuses d’une des restauratrices de confiance de la BnL. La comparaison avec la photo contenue dans le catalogue de vente électronique (lot 348 ; « Quelques mouillures ») illustre clairement la différence entre l’avant et l’après. Le texte, légèrement différent, figure aussi dans un livret de six pages imprimé à Luxembourg par la veuve de Jean Baptiste Kleber (*1757–†1797) la même année.
Contenu des ARTICLES DE LA CAPITULATION
Le traité de capitulation comprend 22+4 articles répartis sur deux fois deux colonnes. Dans la colonne de droite sont notés les articles tels qu’ils ont été proposés par le feld-maréchal von Bender (*1713–†1798), commandant de la forteresse, et remis par deux officiers au quartier général du général Hatry (*1742–†1802) à Itzig le 1er juin 1795. À gauche, en italique, se trouvent les articles définitifs, tels qu’ils ont été décidés par le représentant du peuple Talot (*1755-†1828) et le général Jourdan (*1762–†1833). Cette réponse française, accompagnée de quatre articles supplémentaires, est transmise à von Bender le 5 juin 1795, soit le 17 prairial an III, comme indiqué en bas du document. Faute d’alternatives, von Bender est obligé de l’accepter et la déclaration de capitulation est signée le 7 juin.
L’article II est un des articles les plus intéressants de ce document, raison pour laquelle il est également reproduit dans la publication de Jean Malget, D’Kapitulatioun vun der Festung Lëtzebuerg de 7. Juni 1795, Hesperange, 1995, p. 12. Voici son énoncé : « La garnison sortira de la place le 3e jour après la signature de la capitulation avec armes, bagages, chevaux, tambour battant, mêche allumée, drapeau déployé, avec deux pièces d’artillerie et autant de caissons de munitions par bataillon. » On a tenu compte de tous les desiderata de von Bender, à l’exception du jour de départ, qui, dans la demande autrichienne était fixé trois jours plus tard (« 6e jour »). La visée de cette demande autrichienne était de gagner du temps pour préparer le départ et de préserver tant bien que mal l’honneur de l’armée. Et, Talot et Jourdan ajoutent encore le paragraphe suivant à l’article II initial :
Lorsqu’elle [se] sera rendue sur les glacis de la place, elle déposera ses armes, drapeaux, pièces d’artillerie, caissons, chevaux d’artillerie et de cavalerie, et prêtera le serment de ne point servir contre la République française ou ses alliés, avant d’avoir été échangée individuellement et grade pour grade : elle sera ensuite conduite sur la rive droite du Rhin [à Coblence], comme il sera dit dans les articles VII et VIII.
Cet ajout français a pour but d’assurer la sécurité des troupes françaises présentes sur place. Il est ainsi précisé que les armes en question doivent être remises au vainqueur et que les soldats autrichiens ne peuvent pas reprendre les armes contre les Français de ce côté du Rhin. Une partie de ces ajouts français a également pour dessein de souligner le rapport de force entre le conquérant et le vaincu, sans pour autant humilier ce dernier.
Le seul article de cette offre de capitulation que les autorités françaises refusent sans explication ni amendement est l’article IV : « On accordera également 8 chariots couverts, c’est-à-dire qui ne seront point visités. » Qu’est-ce que von Bender aurait bien aimé transporter de si secret pour ne pas vouloir le divulguer aux Français ? Nul ne le saura.
Une traduction en allemand de ces ARTICLES DE LA CAPITULATION peut être consultée dans François Lascombes, Chronik der Stadt Luxemburg 1684–1795, Luxembourg, 1988, p. 512-515.
Le départ de la garnison et l’entrée des troupes françaises dans la forteresse semblent s’être effectués conformément à l’accord, sans incident majeur. On peut donc conclure qu’il a rempli son objectif.
Quelques jours plus tard Talot rapporte que lui-même, von Bender, Jourdan et d’autres officiers haut gradés des deux camps ont fêté ensemble la fin du siège. Il précise : « Le repas a été fort gai, tout s’y est passé très cordialement […]. » Les plats servis à ce repas festif sont d’ailleurs immortalisés sur une gravure conservée au MNAHA (n° d’inv. 1941-010/001).
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