Le témoignage d’une lettre manuscrite de 1921 Regard nuancé sur un chef militaire controversé de la Grande Guerre
Après l’Armistice du 11 novembre 1918, qui met fin aux combats de la Première Guerre mondiale, quelques 40.000 soldats américains sont stationnés temporairement au Luxembourg. Les 5e et 33e divisions des forces expéditionnaires de l’armée américaine (A.E.F.) s’y installent dès novembre afin de garantir l’approvisionnement de l’armée d’occupation américaine en Allemagne, jusqu’à la signature du Traité de Versailles le 28 juin 1919.
Pendant ces mois, il y a un échange avec la population luxembourgeoise, qui à l’époque ne compte qu’environ 263.000 habitants. Les Luxembourgeois assistent à des événements organisés par les Américains, tels que des concerts, des dîners, des soirées dansantes, et plusieurs grands spectacles, comme l’American Horse Show le 27 février 1919 et l’American Motor Show le 11 avril 1919.
Une lettre inédite
Une brochure intitulée 33rd Division A.E.F. From its arrival in France until the Armistice with Germany november 11, 1918 résume les exploits de la 33e division depuis son arrivée en Europe en mai 1918. Elle est éditée en hiver 1919 par le quartier général de la 33e division à Diekirch et imprimée par Gustave Soupert à Luxembourg. Ce document de 32 pages, distribué aux officiers de la 33e, présente des chiffres sur les hommes et le matériel capturés ainsi que sur les pertes subies.
Un exemplaire de cette brochure, qui fait partie de la collection de la Bibliothèque nationale, est particulièrement intéressant. Signé par son auteur, Frederic Louis Huidekoper, lieutenant-colonel et adjudant-général du général américain George Bell, le document est accompagné d’une lettre manuscrite de 4 pages rédigée le 4 juillet 1921. Les deux pièces sont adressées à Field Marshal Lord Haig, le commandant en chef des forces britanniques en France pendant la Première Guerre mondiale. D’après la note ajoutée au crayon, Haig a reçu la lettre le 5 août 1921.
Constituant une source inédite, le manuscrit présente une vue peu connue sur deux personnalités militaires importantes de l’époque. Huidekoper rédige la lettre, afin de commémorer le 3e anniversaire de la bataille de Hamel, durant laquelle la 33e division américaine se bat le 4 juillet 1918 ensemble avec les Australiens contre les forces de l’Empire allemand et remporte une victoire majeure.
Jouissant d’un grand prestige pendant le conflit et dans l’après-guerre, Haig sera critiqué après sa mort († 29.01.1928) pour avoir recouru à une doctrine militaire caduque, ignorant des pertes désastreuses et les nouvelles réalités de la guerre des tranchées.
Regard Lord Haig
En revanche, Huidekoper vante les qualités de Haig dans sa lettre. Le lieutenant-colonel se rappelle des combats et de ses contacts avec le Field Marshal comme suit : « My own service on the British front was annoyingly brief, […]. Apart from the few times on the British front in 1918, I had the pleasure of meeting you in London many years ago […] ». Il continue en remerciant Haig pour: « the invaluable training and experience which the 33rd Division had on the British front, both of which stood us in such good stead in our subsequent fighting. » Suivant l’auteur, les Américains profitent de l’expérience militaire de leurs alliés et précise: « Compared with the records of the British and French Divisions during more than four years of war, our achievements were but small, although a good deal was crowded into the five and a half months during which the 33rd Division served with the British, Australians, Americans and French […] ».
L’auteur de la lettre, qui rédige plusieurs ouvrages, publie en 1921 un livre de 303 pages sur l’histoire de la 33e division et dont il offre d’envoyer une copie à Haig (Illinois in the World War, volume 1 : The history of the 33rd Division A.E.F., 1921). Cette publication, faisant partie du Fonds luxembourgeois de la BnL, consacre un chapitre aux activités de la 33e division à Luxembourg.
Huidekoper retourne aux États-Unis en mars 1919 et quitte son service en recevant plusieurs citations militaires. La lettre personnelle de 1921 témoigne d’une profonde admiration pour Haig et se termine avec une demande: « There is nothing which I would treasure more than a photograph of yourself in uniform, with your autograph, in memory of those stunning days three years ago when we had the honor and privilege of serving and fighting under your command. » La lettre inédite et flatteuse confronte une vision idéalisée du génie militaire de Haig, avec une analyse plus critique par l’historiographie récente. Néanmoins, le manuscrit contribue à l’appréciation des acquis d’un chef controversé de la Grande Guerre et de l’engagement militaire des Américains en Europe.
Paru dans Die Warte, 16 mai 2024.
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