Un manuscrit et ses énigmes Jean-Joseph Christophe, une carrière trop tôt interrompue

Fonds musicaux du Cedom

Pierre Schwickerath

Parmi les nombreux trésors, la BnL recèle la « Marche triomphale » de Joseph Christophe. Notée d’une écriture soignée, proprement reliée, elle est garnie d’une page de titre lithographiée du plus bel effet qui, à grand renfort de décoration, livre la raison d’être de cet opuscule : « Marche triomphale / dédiée / A Son Altesse Royale la Princesse / Wilhelmine-Hélène-Pauline-Marie de Hollande / à l’occasion de l’arrivée de la famille Royale dans le /Grand-Duché de Luxembourg / par Joseph Christophe / chef de musique au onzième régiment d’infanterie belge / Directeur de la fanfare Concordia de Luxembourg ». A la dernière page, l’auteur apposa la date : « Arlon, le 29 mars 1883 » et signa son œuvre. Ce manuscrit nous pose deux énigmes : qui est Joseph Christophe et l’œuvre est-elle concomitante à une visite royale ?

La seconde énigme se trouve résolue dans la presse nationale. Par un article paru à la page 2 du « Luxemburger Wort » du 4 mai 1883, on apprend que Leurs Majestés le Roi et la Reine sont arrivés ce jour à 5h25 à la gare de Troisvierges, (…) le train continua vers Colmar-Berg. Cet article ne mentionne cependant pas la présence de la princesse qui, à l’époque, ne fut qu’une toute jeune enfant.

C’est le journal « Obermosel-Zeitung » qui dans son édition du 12 mai 1883, informe ses lecteurs que Sa Majesté le Roi des Pays-Bas est arrivé à Berg le 2 mai à 6h27. Un peu plus loin, le rédacteur précise « Ihre Majestät die Königin hatte durch die huldvolle Entgegennahme der Wünsche (…), sowie die kleine Prinzessin durch ihr artiges Grüßen alle Herzen für sich gleich eingenommen ».

Parallèlement, le 27 mai 1883, « L’Indépendance luxembourgeoise » annonce un concert donné par la musique de la Société Concordia dont le programme se termine par … « Marche triomphale » de Christophe.

L’énigme principale sera plus ardue à résoudre : qui est Joseph Christophe ? L’excellent « Luxemburger Musikerlexikon » (2016) ne cite que quelques-unes de ses œuvres et fait l’impasse sur sa vie. La « Festbroschüre zu dem sechzigjährigen Stiftungsfest der Königlich-Grossherzoglichen Musikgesellschaft Concordia » (1925), quant à elle, publie certes une photo du musicien et révèle qu’il en fut chef de musique de 1882 à 1883 et de 1885 à 1886 et la conduisit avec panache à trois concours, mais demeure, elle aussi, muette sur sa vie. Un premier indice vient de la presse nationale. Le 14 juillet 1890, « L’Indépendance luxembourgeoise » annonce : « Arlon, 12 juillet. – Une pénible nouvelle nous arrive de Liège : M. Jean-Joseph Christophe (…) vient de mourir à la suite d’une longue et pénible maladie. Il n’avait que 43 ans. (…) »

Le « War Heritage Institute » de Belgique ne conserve que quatre manuscrits puisque « les archives de régiments de cette époque n’ont malheureusement presque jamais été conservées » (Mail Dr. P. Nefors, 30.11.2020). Par l’intermédiaire de Marie Cornaz, conservatrice au département musical de la Bibliothèque royale de Bruxelles, nous entrons en contact avec le musicologue belge Francis Pieters qui nous envoie une copie de l’article qu’il consacre à Christophe dans son ouvrage épuisé : « Van Trompetsignaal tot Muziekkapel » (1981) dont voici l’essentiel : « Jean-Joseph Christophe est né le 1er août 1847 à Jumet. Il entame ses études musicales à Charleroi et prend dès 1864 des cours d’harmonie, contrepoint et fugue auprès de François-Joseph Fétis, directeur du conservatoire de Bruxelles. En 1866, il poursuit ses études auprès de Dassoigne Méhul, directeur du conservatoire de Liège. (…) Il est chef de musique au 11e de ligne de 1873 jusqu`à sa mort. » Selon Pieters, son œuvre remporte un franc succès. « Sa Grande Fantaisie Variée sur des thèmes de l’opéra Joseph de Méhul est primée à Lille. (…) Sa Fantaisie Originale est retenue comme morceau imposé au concours de fanfares à Bruxelles en 1875. Son Grand Air varié est couronné à Reims en 1876. (…) Christophe décède le 11 juillet 1890 à Liège. »

 

Cette œuvre, subtilement émaillée d’emprunts hollandais, sut toucher le roi puisque quelque temps après le concert du 27 mai 1883, la société fut élevée au rang de fanfare « royale-grand-ducale », titre qu’elle arbore fièrement depuis la publication de ses statuts en 1884 : se trouvera-t-il une fanfare pour la ressusciter ?

Paru dans Die Warte, 25 mars 2021, p. 7.

Dernière modification le