Tout un zoo Les « Leones Belgici » à la BnL

Fonds des cartes, plans, atlas et vues

Max Schmitz

Toute une ménagerie de fauves est conservée dans les fonds patrimoniaux de la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BnL), à savoir des cartes géographiques zoomorphes appelées « Leo Belgicus » et « Leo Hollandicus ». Aux Temps modernes, il a été en effet à la mode de représenter certaines cartes de pays ou de continents en animaux.

L’exemple le plus connu est le « Lion Belge » pour dépeindre le territoire des Pays-Bas espagnols, mais il existe aussi d’autres créatures comme le Pégase pour une partie de l’Asie (1581), l’Aigle pour le Tyrol (1609) ou l’Ours pour le canton de Berne (vers 1700). Cette pratique de créer des cartes thériomorphes s’observe encore au 20e siècle, comme le prouve la « MAPA HUMORISTICO DA EUROPA » de ca. 1939 en portugais et chinois.

La naissance du Lion belge

Le premier Lion belge date de 1583 et a été réalisé par Michael von Aitzing (cote : BnL, L.P. 4276 ; 2e exemplaire sous la cote C. & P. 6891) pour son ouvrage De leone Belgico. Le lion rampant se tient sur trois pattes, a la tête levée regardant vers la droite et occupe le territoire d’Eu en Normandie jusqu’à Delfzijl près de Groningue. Le dernier exemple retenu par Henricus A. M. van der Heijden, l’auteur de l’ouvrage de référence sur le sujet (Leo Belgicus. An illustrated and annotated carto-bibliography, Alphen aan den Rijn, 22006), date de 1815-1818. 

Exemple d’un Leo Belgicus.

L’objectif principal du Lion belge n’est pas de répondre à des attentes d’exactitude cartographique, mais il constitue avant tout un instrument de propagande. Voilà pourquoi c’est aussi un lion majestueux qui a été retenu et non pas un ver de terre, pourtant plus répandu dans nos contrées que celui-là. Sur un des Lions belges, l’auteur précise que les Pays-Bas, constitués de 17 provinces (grosso modo le Benelux actuel), est un « pays » qui surmonte même certains royaumes. Cette bête féroce suggère la force, la sérénité, l’unité et l’indépendance d’un ensemble de territoires, qui, en réalité, est en guerre et dépend du roi d’Espagne. Von Aitzing précise qu’il a opté pour le Lion belge entre autres en raison d’une citation biblique (Prov. 30, 30 : « Le lion, le héros des animaux, Ne reculant devant qui que ce soit ; ») et d’un passage de Jules César (« De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves »). De plus, le lion constitue l’animal héraldique du Brabant et de la Hollande, pour ne citer que ceux-ci. Alors que cette fonction politique ne joue plus de rôle aujourd’hui, le Lion belge demeure un objet de collection attractif et recherché, et par conséquent cher. 

La harde de lions à la BnL

Comme l’ancien duché de Luxembourg faisait partie des Pays-Bas et se retrouve sur la plupart des Lions belges, la BnL a tâché d’acquérir ce type de cartes. La chasse, déjà lancée au 20e siècle, s’est intensifiée au 21e siècle. Elle a été récompensée par de francs succès et le résultat est très appréciable. Selon notre inventaire actualisé en février 2025, la BnL possède quelque trois douzaines d’exemplaires de lions, parmi lesquels se trouve la plupart des cartes décrites par van der Heijden. Ainsi, si nous nous limitons aux différentes versions (sans tenir compte des différents états des cartes), il manque à la BnL seulement 13 des 33 cartes.

Parmi tous ces lions apprivoisés, deux exemplaires tout à fait singuliers sont les numéros 3.2.[1.] (état inconnu à van der Heijden ; cote : C. & P. 7266 / X-A-1) et 21.1 (cote : C. & P. 6888 / X-A-1). Dans ces lignes, nous nous intéressons au deuxième numéro cité. Ce fauve est particulier pour deux raisons. Tout d’abord, cette carte léonine (avant 1668) est entourée de quatre cartes gravées dont une, intitulée « DVCHÉ DE LVXEMBOVRG » (vers 1655-1665) et imprimée par l’éditeur parisien Jacques Lagniet (*vers 1600-†1675), se trouve en bas à gauche du lion. Ensuite, il s’agit de l’unique exemplaire mondialement connu de cette carte zoomorphe.

L’état 21.1. se distingue des quatre, voire cinq autres états connus notamment par la présence de cinq petits navires, placés entre la queue du lion et son dos. L’exemplaire en question (dimensions de la feuille : 40 x 60 cm) a fait partie de la collection Hamer(-Hellinckx) à Luxembourg et est conservé à la BnL depuis 2009. Les deux cartes relatives au Luxembourg sont déjà reproduites dans Van der Vekene (Les cartes géographiques du duché de Luxembourg, Luxembourg, 21980, pp. 200-202, n° 2.42), mais seulement en noir et blanc. Cette carte léonine singulière (dimensions du lion avec le texte en bas : 37,5 x 33 cm), gravée par Valentin Lefèvre (*1637-†1677) et imprimée à Paris, porte le titre « LE LION BELGIQVE DES PAIS BAS CONTENANT LES XVII PROVINCES ». Bien que le traité de Westphalie (1648), officialisant la scission des Pays-Bas, fût déjà conclu depuis presque vingt ans, les Pays-Bas et les Provinces-Unies sont encore considérés ici comme une entité de 17 provinces, comme un seul corps animal. Ce n’est que dans la légende, en-dessous des pattes du lion, qu’il est précisé qu’il s’agit de deux « Estats » avec neuf, respectivement huit provinces, avant de souligner les qualités, à nouveau communes, des Pays-Bas (au sens large) par ces mots : « Ce Pais est plein de bons patturages et est grandem(en)t fertil en beure[,] fromage et autres choses […] ». Rehaussant l’impression visuelle et la valeur monétaire, cette feuille n’est pas restée en noir et blanc, mais un coloriste l’a coloriée à la main pour mettre encore plus en évidence le roi des animaux. Cependant le responsable ne semble pas avoir été un expert en héraldique, car sur le blason du Luxembourg les burelles (bandes) d’argent sont rehaussées en orange, tandis que le lion de gueules (« roude Léiw ») est resté blanc. D’ailleurs les couleurs du blason du Limbourg sont également étranges.

Il reste à mentionner que la légende de la petite carte à gauche précise que le duché de Luxembourg comprend, dans la deuxième moitié du 17e siècle, 23 villes (dont « Neuchatel », « Bilburg » et « Marche en famine ») et presque 1200 villages.

Tant que la collection n’est pas complétée et que les budgets alloués le permettent, notre chasse n’est pas encore terminée. 

Dernière modification le