Un projet longtemps en sommeil voit enfin le jour L’inauguration du Canal des Mines de Fer de la Moselle le 14 août 1932

Fonds des documents éphémères

Stéphanie Kovacs

Il y a des projets qui font long feu : la construction d’un canal sur la Moselle est de ceux-là. La vocation de la Moselle comme point de liaison fluviale entre le Rhin et la Méditerranée s’affirme déjà dès l’Antiquité. La présence, dès la 2e moitié du 19e siècle, d’une industrie lourde d’envergure le long de ses abords ne fait que renforcer ce rôle.

C’est d’ailleurs de la nécessité d’acheminer les précieux minerais lorrains vers les sites de production de fontes et d’acier que naissent les premiers plans pour la canalisation de ce cours d’eau dont l’appartenance géographique variera au gré des bouleversements politiques. De nombreux soubresauts marquent la genèse de ce projet, de son lancement par la France de Napoléon III (décret du 10 avril 1867) à son achèvement définitif dans le courant de l’année 1932. Le projet napoléonien prévoit de creuser un canal sur un tracé compris entre Frouard et Thionville (distance : 33 km).

Un projet enfin ressuscité

Le projet est ressuscité côté français en 1919, après une longue période de mise en parenthèse sous l’Empire allemand (1871-1918). L’initiative française fait suite à l’imbroglio diplomatique créée par la décision de l’Allemagne de suspendre, sans concertation préalable avec la France, les livraisons de coke à destination des usines sidérurgiques lorraines. Le baron de la sidérurgie Humbert de Wendel (1876-1954) monte au créneau et réclame la construction immédiate d’un canal sur la Moselle. Un consortium pour la construction et l’entretien du futur canal voit le jour dans la foulée, sous l’égide du gouvernement français et avec l’appui e.a. de la société métallurgique de Wendel à Hayange. La Société du « Canal des Mines de Fer de la Moselle » (CAMIFEMO) reprend dès 1928 la gestion des travaux de creusement qui démarrent en mai 1929. Le chantier s’achève dans le courant de l’année 1932.

L’inauguration du canal, désormais ouvert aux péniches de 350 tonnes et doté de ports reliés aux sites sidérurgiques, a lieu le 14 août de la même année à Metz. L’événement est rehaussé par la présence du Président de la République Albert Lebrun (1871-1950), pour lequel l’événement semble faire écho à son métier d’origine : en effet, Lebrun, natif de Lorraine (lieu de naissance : Mercy-le-Haut), exerce durant sa jeunesse comme Ingénieur au Corps des Mines dans diverses exploitations minières de l’Est de la France. On peut donc supposer que le Président français est parfaitement au fait des particularités géologiques du minerai lorrain.

Un symbole de la paix entre les nations

Notre sélection de documents rend compte justement de l’effervescence qui règne en coulisses dans les semaines précédant cette journée mémorable. Le Luxembourg est convié aux festivités. C’est que le pays revêt depuis 1918 le statut de pays ami de la France : on se remémorera l’accueil chaleureux réservé par le Président Raymond Poincaré (1860-1934) à la Grande-Duchesse Charlotte lors de sa visite officielle à Thionville le 15 février 1920. Il y a aussi le fait que le Luxembourg et la France « se partagent » le cours de la Moselle : sur les 560 km qu’elle parcourt, la Moselle traverse la France sur près de 314 km, alors qu’elle constitue la frontière naturelle du Luxembourg sur une distance de 39 km. Enfin, les deux pays ont en commun d’abriter sur leur sol une industrie sidérurgique d’envergure, quitte à ce que la mise en service du canal profite véritablement à la seule industrie sidérurgique lorraine.

Joseph Bech (1887-1975), Ministre d’Etat et Président du Gouvernement, et Gaston Diderich (1884-1946), député et bourgmestre de la Ville de Luxembourg, représentent le Grand-Duché à la cérémonie d’inauguration. Celle-ci doit se dérouler à Metz, à l’emplacement du quai « Wadrineau » sur le bord de la Moselle. Si le Président Lebrun arrive sur les lieux de l’inauguration à bord d’une canonnière - l’« Indépendance luxembourgeoise » publie dans son édition du 15 août 1932 une photo du Président au moment d’embarquer sur le bateau -, pour les invités, l’accès au quai n’est possible que sur présentation du carton d’entrée.

Le banquet, organisé en l’honneur du président français à l’Hôtel des Mines de Metz, marque le point d’orgue des festivités. G. Diderich en a conservé le carton d’invitation de la Chambre de Commerce de Metz, ainsi que le feuillet d’invitation. Les poids lourds de la vie politique nationale et locale messine se retrouvent ainsi à l’Hôtel des Mines : l’Etat français est représenté respectivement par le Président de la République Albert Lebrun, le Président du Conseil Edouard Herriot (1872-1957) et le Ministre des Travaux publics Edouard Daladier (1884-1970), futur artisan des accords de Munich. Le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Humbert de Wendel (1876-1954), ardent défenseur du projet du canal depuis la première heure, est également présent. Les éloges sont unanimes : tous s’accordent à voir dans le canal un symbole de la paix entre les nations.

Laissez-passer établi au nom de G. Diderich - celui-ci doit prendre place à bord du « Colmar », qui fait partie du convoi spécial présidentiel empruntant la Moselle.
© BnL, Fonds des documents éphémères

L’activité sur le canal se maintient non-obstant la guerre qui embrase le continent européen à peine six années plus tard. L’année 1964 marque toutefois une césure, dans la mesure où l’adaptation de la Moselle au gabarit européen rend le canal obsolète. Cependant, la même année est inaugurée à Schengen la Moselle canalisée. Dans la foulée de la construction européenne qui s’amorce dès les années 1950, la question de la canalisation de la Moselle revient de nouveau à l’ordre du jour. On projette cette fois de rendre la Moselle navigable de Metz à Coblence, de manière à réunir, dans un acte de réconciliation, les deux industries lourdes - allemandes (Ruhr) et françaises (Lorraine) - autrefois ennemies et symboles d’une guerre aussi absurde qu’inutile. Le cours de l’Histoire nous montre que le pari est réussi.

Paru dans Die Warte, 21 septembre 2023, p. 2-3.

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