Un témoignage de l’épopée industrielle luxembourgeoise Sur l’ouvrage commémoratif du Cinquantenaire de la « Société des Mines du Luxembourg et des forges de Sarrebruck »

Fonds luxembourgeois

Stéphanie Kovacs

Unique tant par son contenu que par sa richesse iconographique, l’ouvrage édité en 1906 par la Société des Mines du Luxembourg et des forges de Sarrebruck à l’occasion du cinquantenaire de sa fondation en 1856 demeure l’un des rares témoignages des débuts de l’épopée industrielle luxembourgeoise à l’aube du 20e siècle, lorsque la destinée économique du Grand-Duché est encore étroitement liée à celle du Zollverein, espace économique-douanier allemand auquel le pays adhère en 1842. L’appartenance du Grand-Duché au Zollverein perdure jusqu’en décembre 1918.

Fonctionnant d’abord sous la raison sociale de Société en participation des Forges de Sarrebruck (1856-1862), cette entreprise sidérurgique de droit belge fait ériger à Burbach, petite bourgade près de Sarrebruck en Prusse rhénane, un vaste complexe sidérurgique. Conçue comme usine d’avant-garde, la Burbacher Schmelz, comme on l’appelle alors familièrement, comporte en effet hauts-fourneaux, aciéries et laminoirs, faisant d’elle une « usine intégrée » entièrement dédiée à la transformation métallurgique de la minette luxembourgeoise en acier.

L’usine intégrée de Burbach est d’ailleurs la première à traiter le minerai oolithique luxembourgeois en tant que tel, servant par là même de plate-forme d’essai pour son traitement métallurgique: pour la petite histoire, retenons que les minerais en question proviennent pour l’essentiel des terrains miniers du Sud du Grand-Duché que les futurs actionnaires de la société – Norbert Metz (1811-1885) en tête (e.a) – s’approprient dès 1854 dans ce qui s’apparente à un véritable « rush », déclenché à la faveur de deux événements majeurs: l’annonce de la construction, en 1850, de la première voie ferrée du Grand-Duché (ligne Kleinbettingen-Trèves) et la hausse des taxes, décidée en 1853 par le Zollverein, sur les fontes belges importées. Ces deux éléments rendent désormais rentable l’exploitation de la minette, que la cherté des coûts de transport freine jusque-là…

Or, le choix même de l’emplacement de l’usine peut interpeller. En effet, pourquoi avoir choisi la petite bourgade de Burbach comme emplacement de l’usine, alors qu’il eut été plus judicieux d’ériger l’usine à proximité des fameux gisements miniers dont regorge justement le Sud du Grand-Duché? C’est que les autorités gouvernementales luxembourgeoises d’alors refusent d’accorder dans un premier temps des concessions minières, c’est-à-dire le droit d’extraire des minerais, allant jusqu’à retarder de plusieurs années le traitement des dossiers au grand dam des intéressés qui se mordent les doigts d’impatience. Misant probablement sur une hausse de la valeur marchande des terrains miniers dans le sillage immédiat du futur tracé ferroviaire, les autorités gouvernementales comptent visiblement monnayer leur feu vert contre l’octroi de concessions minières fort juteuses…

La liste des fondateurs et des actionnaires de la Société des Mines du Luxembourg et des forges de Sarrebruck illustre à merveille la convergence des intérêts tant belges que luxembourgeois présidant à sa fondation. Le duo des fondateurs belges Nicolas Berger (1800-1883), président du tribunal d’arrondissement d’Arlon et propriétaire de la Banque Berger, et Victor Tesch (1812-1892), capitaine d’industrie et cousin par alliance d’un certain N. Metz, attirent dans leur giron les grands noms que compte alors la métallurgie luxembourgeoise. Ainsi, N. Metz, capitaine d’industrie et figure incontournable de la vie politique grand-ducale jusque dans les années 1880, Charles Collart (1829-1910), maître de forges à Steinfort et co-fondateur en 1873 de la Société des Hauts-Fourneaux de Rodange, et Pierre Giraud (1802-1869), maître de forges de Lasauvage, font-ils partie du groupe des actionnaires grand-ducaux. L’Ingénieur des Mines et Conseiller de Gouvernement François Majerus (1819-1887) détient lui aussi des participations dans la société qui le gratifiera du poste de directeur – le premier de l’histoire de la société - de l’usine intégrée de Burbach.

L’existence de la Société des Mines du Luxembourg et des forges de Sarrebruck se prolonge jusqu’en 1911, date à laquelle elle fusionne avec la Société des Forges d'Eich, Le Gallais, Metz et Cie et la S.A. des Hauts-Fourneaux et Forges de Dudelange pour constituer le groupe sidérurgique luxembourgeois ARBED (Aciéries réunies de Burbach-Eich-Dudelange), dont l’essor permettra au Grand-Duché de se hisser parmi les principaux pays producteurs d’acier au 20e siècle.

Paru dans Die Warte, 13 janvier 2022, p. 9

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