Différentes étapes de l’écriture musicale Des neumes médiévaux aux dessins contemporains

Fonds musicaux du Cedom

Pierre Schwickerath

« Nisi enim ab homine memoria teneantur soni, pereunt, quia scribi non possunt. » (Isidore de Séville (fl. 630), Etymologiae, III, 15, Oxonii e typographeo Clarendoniano, 1911)

Se confondant avec l’histoire de l’humanité, les traces de la musique se perdent dans la nuit des temps, et si les archéologues savent en retranscrire le chemin, les musiciens et les musicologues ne partagent pas ce bonheur, puisque cet art, si éphémère durant des millénaires, ne se transmettait qu’oralement. Peu avant notre ère, les grecs réussirent à noter de la musique, mais leur système ne perdura pas de sorte que la musique demeura pour notre civilisation un art volatil jusqu’au milieu du haut Moyen-Âge. L’essor de l’Eglise catholique profite à l’essaimage du chant grégorien. Pour en faciliter la transmission, il fallait trouver un moyen pour en noter les mélodies. Les premiers signes qui apparurent furent les « neumes ».

L’origine des neumes n’est pas très claire : pour certains, ces signes proviendraient de la notation ekphonétique archaïque du rite byzantin de la fin du VIIIe siècle, alors que pour d’autres, ils seraient un lointain héritage des grammairiens et rhétoriciens antiques. Leurs premières traces se trouvent dans des manuscrits datant de la première moitié du IXe siècle. Les neumes, qui sont aptes à traduire une grande subtilité rythmique, sont cependant inaptes à déterminer la hauteur du chant : ce sont des neumes « a campo aperto » (à champ ouvert) appelés aussi « chironomiques » (neumes gestuels) ou « adiastématiques ». Les neumes, avec lesquels le chant grégorien est noté, ne sont qu’un procédé mnémotechnique, qui présuppose la maîtrise du répertoire.

Au fil des siècles, la graphie des neumes va se modifier et aboutir à la notation carrée qui prendra son essor au XIIe siècle.

C’est à la faveur de la renaissance grégorienne entamée par l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes depuis le XIXe siècle et accompagnée plus tard par la sémiologie grégorienne, que ce vénérable patrimoine est devenu un domaine scientifique à part entière. A côté des nombreux traités scientifiques et des textes de vulgarisation issus de ces travaux, cette restauration du chant grégorien atteignit son climax dans la publication du « Graduale triplex ». Celui-ci présente le répertoire grégorien non seulement dans sa notation traditionnelle en notes carrées sur un système de quatre lignes, mais celle-ci est accompagnée par la reproduction des neumes que Marie-Claire Billecoq a transcrits du manuscrit de Laon (après 930) (notée en noir au-dessus de la portée musicale) et par la reproduction de la transcription des neumes des manuscrits de la famille sangallienne (entre la fin du IXe et la première moitié du XIe siècle) notée en rouge en-dessous de la portée musicale.

Ce manuscrit issu du scriptorium epternacien a été démantelé après usage pour servir à la reliure du recueil artificiel, conservé sous la cote L.P. 519. Sur les feuilles imbriquées dans le présent ouvrage comme feuilles de garde et de contre-garde, ce manuscrit montre l’évolution que la notation neumatique a parcouru pour aboutir aux neumes « diastématiques ». Dans cette écriture, les neumes sont placés dans des systèmes comportant généralement quatre lignes : une ligne rouge est associée à une clé alors que les autres lignes restent noires.

Ce Missale de 1509, qui est demeuré inachevé, est un bel exemple de livre imprimé dont la notation musicale a été complétée « à la main ». Cet exemplaire est particulièrement intéressant parce qu’il montre une version spécifique de la notation neumatique que certains auteurs qualifient de « neumes gothiques » ou « neumes germaniques » qui font partie des notations dites « Hufnagelschrift » (notation à clous).

Laissant une certaine liberté à l’interprète, le compositeur de cette œuvre fixe le rythme avec précision, mais laisse au pianiste le choix des « sons » joués. Tant l’usage de clusters que le langage des notes écrites brouillent délibérément toute référence à une tonalité.

Cette œuvre, qui fait encore usage de la notation musicale « habituelle », dépasse les limites du carcan sévère de cette notation : les accélérations et les ralentandos sont symbolisés par l’écartement et le resserrement des barres de valeurs (doubles et triples croches) : la partie vocale, quant à elle, fait abstraction de la notation absolue de la hauteur des sons.

Dans cette œuvre, Camille Kerger délaisse de plus en plus la notation traditionnelle au profit d’une notation « graphique » : celle-ci retranscrit la musique par des graphiques qui représentent la ou les hauteurs des sons et leurs durées par des formes plus ou moins géométriques. Un mode de notation hérité du milieu du XXe siècle.

Dans l’état actuel de nos connaissances, Catherine Kontz est la musicienne luxembourgeoise qui s’éloigne avec la plus grande détermination de la notation musicale traditionnelle : dans cette œuvre, elle utilise le dessin et invite l’interprète à « improviser » en fonction de ce que ses dessins lui inspirent.

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