Sleeping with Books Caecilia Tripp

Type :
Exposition
Lieu :
Bibliothèque nationale du Luxembourg - 37D Avenue John F. Kennedy, L-1855 Luxembourg
Salle de lecture (rez-de-chaussée et 2e étage)
Dates :
Du 23.05.2023
jusqu'au 01.10.2023
© Série photographique en cours (2011-), DIASEC, B&W, 1750 x 1200 mm, courtesy of the artist and Erna Hecey Gallery

À propos de l'exposition

La BnL expose dans sa salle de lecture une sélection de cinq photographies de la série Sleeping With Books de l’artiste Caecilia Tripp. Cette série est intimement liée à l’œuvre Untitled de Félix Gonzales-Torres (un projet de panneau d’affichage datant de 1991). Sleeping With Books nous plonge dans un somnambulisme qui lie la lutte pour les droits civiques au rêve collectif. Prenant la forme d’un paysage photographique onirique, ces photographies mêlent les moments intimes du sommeil et du subconscient aux idées d’émancipation, d’éveil et de liberté. Chacun devient son propre agent dans l’appropriation d’expériences, de concepts et d’imaginaires, inspirés par ces livres qui constituent un vivier de possibilités et de révoltes en devenir, où les identités se fluidifient.

Les œuvres de Caecilia Tripp sont présentées dans de nombreuses galeries et musées, dont la résidence PS1/MOMA à New York (États-Unis), le Musée d’art moderne de Paris (France) ou encore le Centre d’art contemporain de la Nouvelle-Orléans (États-Unis). L’artiste est représentée par Erna Hecey Gallery. Jean-Marc Prévost est historien de l’art et directeur du Carré d’Art de Nîmes depuis 2012. Ses récentes expositions au Carré d’Art sont des expositions personnelles de Stan Douglas, Walid Raad, Fahd Burki, Anne Imhof ou encore Suzanne Lafont.

3 vitrines (RDC et 2e étage) sur la Photographie et les droits civils accompagnent l’exposition.

Dreams

Langston Hughes

Hold fast to dreams 
For if dreams die 
Life is a broken-winged bird 
That cannot fly. 
Hold fast to dreams 
For when dreams go 
Life is a barren field 
Frozen with snow.

Une galerie de portraits, un univers de songes

J’aimais la façon dont ces livres me tenaient compagnie, que ce soit eux qui, au fur et à mesure, se rapprochent de moi ou bien moi qui me rapproche d’eux. J’aimais leur sensation, leur présence sur mon oreiller, le sentiment de sécurité qu’ils procuraient. Bien plus tard, j’en vins à comprendre qu’il m’était plus facile de lire un livre après avoir passé un certain temps en sa compagnie.
Ariella Aïsha Azoulay, La résistance des bijoux : contre les géographies coloniales, Sète, Rot.Bo.Krik, 2023, p. 47.

Sleeping with Books est une série photographique en devenir de Caecilia Tripp. En devenir car elle porte en elle un caractère infini, elle dépasse les bornes temporelles et spatiales que le titre - magnifique - suggère. Dormir avec les livres, c’est accueillir l’imaginaire de toutes les potentialités du monde. C’est se protéger des cauchemars et des peurs. C’est avoir conscience de la puissance d’un livre qui a été écrit par des personnes qui ouvrent à des horizons politiques et poétiques réunis. Mais c’est aussi ressentir ce que le contenu d’un livre continue de produire dans le corps endormi quand l’inconscient reste en alerte. Les songes sont des pensées qui travaillent l’esprit pendant le sommeil ; celui-ci n’est pas un moment de rupture avec la réalité mais un temps de veille.

Caecilia Tripp fait le récit poignant d’un drame qui l’incite à réaliser ces photographies : des incendies survenus dans la nuit à Paris entre avril et août 2005 dans trois quartiers de la ville. Quarante-neuf personnes d’origine africaine, dont vingt-neuf enfants, périssent brûlées dans leur immeuble respectif. L’artiste choisit de transposer visuellement et mentalement la violence de l’événement à la force de La prochaine fois le feu, livre publié par James Baldwin en 1963, au sommet de son engagement pour les droits civiques aux États-Unis. Le titre résonne avec l’incendie cité et annonce les émeutes qui explosent dans les zones suburbaines de la France à l’automne 2005. Le livre de Baldwin est ouvert à plat sur le lit où la main d’un homme africain repose doucement. L’homme est assoupi mais le livre agit. Il reste à portée de main, comme un outil de défense et de compréhension de la société. Sur une autre photographie, le livre Angela Davis : If They Come in the Morning (1971) est posé sur un divan.

Si on ouvre ce livre, on y trouve dès la page de garde une citation de James Baldwin : « Si nous savons, nous devons alors nous battre pour votre vie, comme si c’était la nôtre…Car s’ils vous arrêtent le matin, ils viendront pour nous le soir ». La nuit et le jour, le jour et la nuit, marquent le noir et blanc des photographies en créant une parfaite harmonie de tonalités de gris. La pénombre unifie les teintes des draps, des coussins, des couvertures de livres, des peaux, des bijoux, produisant d’une ville à l’autre, de part et d’autre de l’Atlantique, une ligne de solidarités. Les livres choisis par les personnes que Caecilia Tripp photographie deviennent leur portrait secret. Les titres résonnent à l’unisson et forment une constellation : Langston Hughes, Selected Poems, Leroy Jones, Home ; V.S. Naupaul, The Mimic Men ; Gilles Deleuze, Difference and Repetition ; George Woodcock, Anarchism ; Howard Zinn, People’s History of the United States, 1492 - Present ; Gertrude Stein, From The Making of Americans ; George Jackson, Les Frères de Soledad ; Toni Morrison, Love ;The Autobiography of Malcolm X.

En regardant les photographies de Sleeping with Books, on ressent le silence de John Cage qui, associé au feu de James Baldwin, est pour l’artiste comme un manifeste à l’origine de ces images dont le cadrage serré se cale à l’échelle de l’objet-livre. Mais on ressent aussi la façon dont Caecilia Tripp, en tant que fine observatrice des affects de la vie, s’engage auprès des artistes, des intellectuels, ses amis. Pour elle, les livres sont « les archives vivantes d’idées (r/évolutionnaires) et productrices de rêves de liberté ». Les portraits qu’elle crée s’attachent à cette mémoire qui se transmet grâce à des objets reproductibles, uniques.

Par l’historienne de l’art Elvan Zabunyan