L’âge d’or de la carte postale La carte postale – un moyen de communication essentiel aux alentours de 1900

Fonds des affiches et des cartes postales illustrées

Philippe Majeres

Introduite en Autriche en 1869, la carte-correspondance est considérée comme le précurseur de la carte postale. Émergeant d’un contexte économique et social en mutation, elle constitue un nouveau moyen de communication facilitant les messages écrits courts par rapport à la lettre, tout en étant moins chère et aussi rapide dans son expédition.

Au Luxembourg, la carte-correspondance circule à partir de 1870, avec un envoi qui se fait à découvert.  Elle se caractérise par un recto réservé à l’adresse du destinataire et un verso vierge. La dénomination de carte postale s’y trouve depuis 1873, et sera officiellement adoptée au Congrès postal à Paris en 1878. La forme moderne de la carte postale, se caractérisant par un recto divisé en deux parties, sera seulement adoptée au début du 20e siècle.

Initialement, les cartes postales éditées par l’industrie privée ne sont pas prévues. Néanmoins, comme les modèles vierges des cartes-correspondance sont distribués gratuitement, des éditeurs-imprimeurs, comme Théophile Schroell, éditeur et rédacteur en chef de la Luxemburger Zeitung (1829-1893), lancent leur propre production de cartes. Les premières cartes postales illustrées du Grand-Duché apparaissent aux alentours de 1875. Elles se prêtent à transmettre au verso, jusqu’à présent vierge, non seulement de belles illustrations, mais également des messages publicitaires. Comme la carte postale est envoyée à la moitié du prix d’une lettre et qu’à l’époque les facteurs font plusieurs tournées par jour, elle devient bientôt un support idéal de communication « instantanée ».

Un outil de communication essentiel

En conséquence, les journaux de l’époque sont comblés d’annonces publicitaires, dans lesquelles des commerçants demandent aux lecteurs de leur adresser une carte postale indiquant leur nom et leur adresse, afin de s’abonner à un journal, de réclamer un rendez-vous avec un agent d’assurance à leur domicile, ou de demander des échantillons de produits. Ainsi, dans une annonce publicitaire, parue dans le Luxemburger Wort le 27 mars 1884, Michel Risch, propriétaire d’une blanchisserie, demande aux lecteurs intéressés de lui envoyer une carte postale indiquant l’adresse à laquelle il peut ramasser le linge de ses clients.

Annonce publicitaire de la blanchisserie Michel Risch - Parue le 27 mars 1884 dans le « Luxemburger Wort »

Puisque le réseau téléphonique est seulement accessible à une minorité de la population jusqu’après la Première Guerre mondiale, les particuliers, tout comme les commerçants, utilisent des cartes postales pour communiquer.

À cause de cette demande importante, des photographes luxembourgeois comme Charles Bernhoeft, mais également des illustrateurs et libraires, lancent leur propre édition de cartes postales. L’apparition de ces nouveaux éditeurs s’explique aussi par l’adoption de nouvelles techniques de reproduction à la fin du 19e siècle. L’impression photomécanique révolutionne l’impression en masse des cartes postales illustrées. La phototypie est le procédé le plus utilisé autour de 1900. Étant donné que le support d’impression se prête à seulement quelques centaines de reproductions avant d’être inutilisable, le tirage d’une édition est limité. En même temps, ce procédé permet une impression abordable et domine l’impression des cartes postales jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Carte postale envoyée le 27 mai 1909 - « Diekirch, Jeudi matin 9h 1/2 [:] Bonjour ma [illisible] ! J’espère que tu vas toujours bien. J’attends de tes nouvelles pour ce soir lorsque je rentrerai à Ettelbrück. »

Aux alentours de 1900, des cartes postales sont envoyées pour donner un signe de vie et pour montrer les lieux visités. Mais, par son prix intéressant et sa rapidité, elles sont également utilisées pour se donner rendez-vous. La carte reproduite ici, éditée par Charles Bernhoeft et faisant partie du Fonds des cartes postales de la BnL, illustre l’efficacité de la carte postale. Au revers de la carte, envoyée le matin du 27 mai 1909, l’auteur écrit : « Diekirch, Jeudi matin 9h 1/2 [:] Bonjour ma [illisible] ! J’espère que tu vas toujours bien. J’attends de tes nouvelles pour ce soir lorsque je rentrerai à Ettelbrück. »

Selon la localité, l’échange entre correspondants peut donc se faire plusieurs fois par jour. À l’étranger, comme dans certains quartiers de Berlin ou de Vienne, le courrier est expédié six à sept fois par jour pendant cet âge d’or de la carte postale.

Une source précieuse

Étant à la base un document éphémère et le moyen de communication « instantané » de l’époque, la carte postale constitue une source précieuse, qui se prête à répondre à des questions qui ne sont pas forcément abordées par d’autres sources historiques. Elles peuvent donner un aperçu inaltéré sur les questions culturelles, sociales, quotidiennes politiques et sur l’égalité des genres de l’époque. Comparée à la lettre écrite, qui demande plus de temps et la maîtrise d’une écriture soignée, la carte postale démocratise la communication pour les couches sociales inférieures moins aptes à la rédaction. Elle reflète un monde évoluant à une vitesse sans précédent, avec une mobilité professionnelle et privée de plus en plus importante.

Par contraste, dans un article publié dans L’Indépendance luxembourgeoise en 1904, Georges Rocher craint une érosion de l’expression écrite par la carte postale : « La carte illustrée, est en somme intéressante parce qu’elle permet […] d’apprendre la géographie en images de façon plus agréable, plus frappante aux yeux et à l’esprit qu’avec le livre […]. Mais elle a tué le genre épistolaire où excellait l’esprit français […], les descriptions pittoresques de l’excursionniste […] ».

Toutefois, la carte postale luxembourgeoise connaît un succès fulgurant. Les statistiques de la poste, publiées au Mémorial, sont parlantes. En 1872 par exemple, 4.238 cartes postales en provenance de et à destination du Grand-Duché sont expédiées. En 1880 déjà, ce volume s’élève à 155.883 cartes, pour atteindre 971.906 cartes en 1900 et 2.940.236 cartes en 1918. Cette même année, 4.861.896 lettres affranchies sont envoyées à l’intérieur du Luxembourg, pour 160.792 télégrammes pour le service intérieur.

Le téléphone, longtemps réservé à une élite, gagne désormais en importance. En même temps, avec la fin de la Première Guerre mondiale et du Zollverein, le Luxembourg se retrouve dans un environnement économique difficile dans les années 1920. Cette situation se reflète dans l’équilibre budgétaire de la Poste qui, prévoyant un déficit global de 4 millions de francs pour 1921, augmente les frais d’envoi pour les cartes postales.

L’introduction de la journée de huit heures (décret du 14 décembre 1918) et du repos dominical (loi du 10 août 1919) impactent l’expédition du courrier et le nombre de tournées. En conséquence, la carte postale perd en attractivité par rapport au téléphone en tant que moyen de communication.

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